30 janvier, 2016

Les crêpes de la Chandeleur

Crêpe sucrée accompagnée de cassonades, crème fraîche et clémentines

A la Chandeleur, l'hiver passe ou prend vigueur. Proverbe de mon enfance.

Un peu d'histoire, de culture, folklore et traditions de mon terroir natal...


Je ne vous détaillerai ici ni les nombreux proverbes se rapportant à cette fête des chandelles, ni toutes les superstitions y afférant. Les hypothèses quant à son origine sont nombreuses. Célébrée comme une fête catholique commémorant la présentation de Jésus au temple quarante jours après sa naissance, elle est avant tout une fête païenne célébrant le début des semailles d'hiver ainsi que le moment où la croissance des jours s'accélère voire même, mais l'hypothèse est controversée, la fin de l'hibernation de l'ours ("Chandelours") auquel nombre de peuples européens ont voué un culte fervent jusqu'au coeur du Moyen-Âge.

Je désire cependant, avant de véritablement entrer dans le vif du sujet, la cuisine, partager avec vous, mes lecteurs, une histoire de crêpe que me racontait à cette occasion ma grand-mère, en savoureux Wallon de Liège. Comme elle tenait cette histoire de sa mère à une époque  où ces récits, à l'instar des contes et légendes, se transmettaient encore oralement, cette poésie subit bien sûr certaines modifications. Aussi ma grand-mère situait-elle l'action dans notre village, Herstal, à la veille de la Chandeleur... Je vous livre le texte de Georges Ista (1874-1939), poète liégeois. Pour votre compréhension, je vous en ai fait une traduction quasi littérale.

Gourmandisement vôtre ! 
Christine.

LI BOÛKÈTE ÈMACRALÈYE

C'esteût l'nut' dè Noyé, li mame féve des boûkètes.
Et tos les p'tits-èfants rassonlés dilé l'feû,
Rin qu'a houmer l'odeur qui montéve dèl pêlète
Si sintî l'êwe al boke èt s'ralîtchî lès deûts.

Quand on costé dèl påsse èsteût djusse a l'îdèye,
Li mame prindéve li pêle èt hoyève on p'tit pô,
Et puis houp, li boukète e l'êr féve ine dimèye
Åt dvins l'mitan dèl pêle ritournéve cou-z-å-hôt.

"Lèyi-me on pô sayî, brèya li p'tite Madjène,
Dji wadje del ritoûrner d'adreût dèi prumî côp.
Vos-alez vèyî, mame." Et vola nosse glawène
Qui prind l'pêle a deûs mains, qui s'abahe on p'tit pô

Et rouf ! di totes ses fwèces èle èvole li boukète
Ele l'èvola si bin, qu'èle n'a måy ritoumé
On qwèra tos costés, so l'årmå, podrî l'pwète
On n'ritrova måy rin. Wice aveût-èle passé ?

Tot l'monde s'èl dimindéve èt les k'mères di vinåve
Si racontît tot bas, al-nut, åtoû dès feu,
Qui c'esteût sûr li diâle qu'èsteut catchî d'zos l'tåve
Et qui l'aveût magnî sin fé ni eune ni deus...

L'iviér passa, l'osté ramina lès vèrdeûres
Et lès fièsses di porotche ås djoyeûs cråmignons.
Tot l'monde aveût dèdja roûvi ciste aventeûre,
Quand li mère d'a Madjène fa r'blanki sès plafonds.

Vola don l'bwègne Colas, blankileû sins parèy
Qu'arive avou sès breûsses, sès håles èt sès sèyès.
I k'minça dè bodjî lès p'tites bardåh'rèyes
Qu'estî avå l'manèdje. I wèsta lès tåvlès

Qui pindît so lès meûrs, puis montant so s'halète,
I d'pinda l'grand mureû qui hågnîve so l'djivå
Et c'est podrî l'mureû qu'on r'trouva nosse boukète
Qu'èsteû la d'pôy sî meûs, co pu deûre qu'on vî clå,

Neûre come on cou d'chapê, reûdi èco pu qu'ine bâye,
Frisêye come ine vèye catche, èt d'zeûr di tot çoula,
Tote coviète di strons d'moke èt tèlemint tchamossèye
Qu'èle aveût dès poyèdjes co pé qu'in angora.

lacuisinedechristine. Les boûkètes de mon enfance. Crèpe. Sirop de Liège.

LA CRÊPE ENSORCELÉE

C'était la nuit de Noël, la mère faisait des crêpes,
Et tous les petits enfants rassemblés devant le feu,
Rien qu'à humer l'odeur qui montait de la poêlette,
Se sentaient l'eau à la bouche, et se reléchaient les doigts.

Quand un côté de la pâte était juste à l'idée (cuit correctement),
La mère prenait la poêle, la secouait un petit peu
Et puis, hop, la crêpe, en l'air faisait un demi tour,
Retombait retournée au centre de la poêle, le cul en l'air.

"Laissez-moi un peu essayer !", cria la petite Marie-Jeanne.
"Je gage de la retourner adroitement du premier coup.
Vous allez voir, maman !" Et voilà notre gamine
Qui prend la poêle à deux mains, qui s'abaisse un petit peu...

Et hop ! De toutes ses forces elle envole la crêpe...
Elle l'envola si bien qu'elle n'est jamais retombée.
On la chercha partout, sur l'armoire, derrière la porte
On ne retrouva jamais rien. Où était-elle passée ?

Tout le monde se le demandait, et les commères du quartier
Se racontaient tout bas, le soir autour du feu
Que c'était sûrement le diable qui était caché sous la table
Et qu'il l'avait mangée sans faire ni une ni deux (sans faire de manières).

L'hiver passa, l'été ramena la verdure
Et les fêtes de paroisse aux joyeuses farandoles.
Tout le monde avait déjà oublié cette aventure
Quand la mère de Marie-Jeanne fit reblanchir ses plafonds.

Voilà donc Colas le borgne, blanchisseur sans pareil,
Qui arrive avec ses brosses, ses échelles et ses seaux
Il commença en bougeant les petits bibelots
Qui étaient dans le ménage (qui meublaient la maison) ; il bougea les tableaux

Qui pendaient sur les murs ; puis, montant sur son tabouret,
Il dépendit le grand miroir qui pendait sur la hotte.
Et c'est derrière le miroir qu'on retrouva notre crêpe
Qui était là depuis six mois, encore plus dure qu'un vieux clou,

Noire comme un cul de chapeau, raidie encore plus qu'une bille,
Ridée comme un fruit sec et en plus de tout ça,
Toute couverte d'étrons de mouches et tellement moisie
qu'elle avait des poils encore pire qu'un angora.



Est-ce cette histoire qui a donné lieu à la croyance populaire qui veut que la première boukète soit laissée sur une armoire afin de garantir l'abondance des récoltes de l'année ? Elle ne moisirait pas, dit-on...

Une autre tradition superstitieuse veut que l'on tienne une pièce dans sa main libre lorsqu'on fait sauter la boukète pour la retourner afin de s'assurer la prospérité pour l'année en cours. Comme si la choucroute du Nouvel An n'y suffisait pas. Mais c'est une autre histoire...

Les orthographes du mot "boûkète" sont nombreuses, le Wallon, comme bien des patois étant avant tout une langue populaire orale. Il désigne une crêpe levée à la farine de sarrasin, traditionnellement agrémentée de raisins secs, cuite à la poêle avec du saindoux et servie chaude ou froide accompagnée de sucre, de cassonade ou, pour les irréductibles Liégeois, de sirop de Liège ! Nous aurons l'occasion de reparler de ce produit de terroir...

Egalement appelée "vaute", elle se déguste aussi bien accompagnée de vin chaud à la cannelle en hiver, sur les marchés de Noël puis à la Chandeleur qu'en plein été pour les fêtes du 15 août de la République libre d'Outremeuse, accompagnée alors d'un verre de genièvre appelé pèket.

Ce qui nous intéresse principalement sur ce blog, ce sont les recettes et donc, à l'occasion de la Chandeleur, les crêpes, ces fameux disques de pâtes délicieusement dorés qui rappellent le soleil et préparés avec la farine issue du grain de l'année écoulée afin, dit-on, que la nouvelle récolte soit bonne...

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